Pr Pascal Hammel Un médecin à l’école de son cancer |
Propos recueillis par Jean-Pierre Allali Gastro-entérologue de renom, spécialiste des cancers de l’appareil digestif exerçant dans un grand hôpital parisien, enseignant et chercheur, auteur de nombreux articles dans des revues spécialisées, Pascal Hammel consacre une grande partie de sa vie, comme tout médecin, à prendre en charge la souffrance physique et psychique des autres, de ses malades. Le cancer, il connaît. Il le détecte, régulièrement, malheureusement, chez nombre de ses patients. Mais la chose est tout à fait différente quand le mal s’en prend, précisément, au médecin chargé de le traquer. C’est ce qui est arrivé à Pascal Hammel. On a peine à croire que ce bel homme blond au faciès d’acteur américain, à l’allure de play-boy, soit passé par l’enfer qui s’est abattu sur lui, un jour, brusquement : un lymphome malin. Une évidence s’est alors imposée à lui et à ses proches, une évidence toute bête : de la même façon que l’adage populaire prétend que les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés ou que le cinéma, autrefois, se gaussait des aventures désopilantes de l’arroseur arrosé, oui, un docteur, ça peut être malade, oui un cancérologue peut, à son tour, être atteint du cancer. Quelle est alors son attitude face à la maladie, lui qui n’avait jusqu’ici à l’affronter que de l’extérieur ? Tel aura été le dilemme et l’origine du combat de Pascal Hammel contre la maladie, combat qu’il raconte dans son livre: Jean-Pierre Allali : Comment se déroulait votre vie, au quotidien, avant la maladie ? Pascal Hammel : Comme un médecin hospitalier bien occupé ! Je partage mon emploi du temps professionnel entre les soins aux patients, l’enseignement et la recherche, les trois missions dévolues aux hospitalo-universitaires. Sans oublier les tâches administratives et les réunions d’investigateurs pour les protocoles, en France ou à l’étranger. Je suis père de quatre enfants, pratique plusieurs sports et m’adonne au piano depuis mon enfance. Bref, une vie de père de famille normale ! J.P.A. : Et la terrible nouvelle, c’est arrivé comment? P.H. : D’abord des douleurs abdominales nocturnes. Puis une échographie et un scanner au cours desquels on découvre des ganglions anormaux dans l’abdomen, et une ponction de l’un d’entre eux. Enfin, la découverte quasiment en direct devant le microscope, avec ma collègue et amie anatomo-pathologiste qu’il ne s’agit pas d’une tuberculose mais d’un lymphome diffus de haut grade. Ce fut brutal. J.P.A. : Après les moments de stupeur, d’abattement, quelle décision prenez-vous? P.H. : L’abattement n’a pas été immédiat. Ma première pensée après la découverte des cellules tumorales a été: « C’est une tumeur potentiellement curable. Il y en a des plus graves. En cela, j’ai déjà de la chance ». Je me suis réellement dit ça. Mais lorsque j’ai réalisé que j’étais atteint pour la première fois d’une maladie potentiellement mortelle, que la chimiothérapie de ce type de lymphome est très lourde et non sans risques, et que mes enfants étaient tous mineurs (ma dernière fille était en maternelle), j’ai eu peur. J.P.A. : Aujourd’hui, tout cela n’est plus qu’un mauvais souvenir. Vous avez vaincu la maladie et repris normalement vos activités. Vous êtes néanmoins suivi ?... P.H. : Le suivi a duré trois ans. L’année dernière, mon médecin a mis fin aux consultations car, après trois ans, les risques de récidive de ce type de lymphome sont très rares. J.P.A. : Vous appartenez à une famille protestante. Êtes-vous croyant? P.H. : Oui. Mais avec mes contradictions. J’avais une pratique régulière pendant ma jeunesse et celle-ci est moins régulière, ces dernières années. La maladie peut modifier son rapport à la religion et à la croyance. Mais dans les moments très difficiles, un croyant, même s’il n’est pas assidu dans sa pratique religieuse, peut se tourner vers son créateur, comme je l’explique dans mon livre par un exemple concret. C’est un réflexe de l’esprit, un réflexe de vie, la possibilité d’un soulagement spirituel important. J.P.A. : Comme vous le savez, pendant la période terrible du nazisme, de la Shoah et de l’Occupation de notre pays, nombreux ont été les Protestants, je pense notamment au village sauveur qu’a été Le Chambon-sur-Lignon, qui, au péril de leur vie, ont sauvé des Juifs. Votre grand père, André Hammel a, lui aussi, été un Juste. Pouvez-vous nous en dire quelques mots? P.H. : Mon grand père était pasteur mais aussi psychiatre. Il dirigeait une clinique près de Compiègne, dans l’Oise, appelée Béthanie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a hébergé des Juifs en les faisant passer pour des malades mentaux graves auprès des autorités allemandes. Lors des contrôles, il proposait à ces dernières d’entrer dans les chambres des patients en les mettant en garde du fait de leur violence et de leur bizarrerie potentielle et, de ce fait, les Allemands n’ont jamais souhaité vérifier. En 1997, sa femme Georgette et lui ont été reconnus comme Justes par la communauté juive française, à la suite de nombreux témoignages de Juifs sauvés et d’habitants du voisinage Mon grand-père, mort en 1965, en a très peu fait état à ses proches. Il n’aimait pas du tout passer pour un héros. Il estimait avec fait son devoir de chrétien et de médecin, ou plutôt d’homme digne de ce nom, tout simplement.
(*) Editions Fayard. 2008. 306 pages. 18 euros. |